Critique du CD Naxos de Georges Taconet

parue dans www.musicweb-international.com

(traduction française)


Nous n’avons encore jamais entendu parler de Taconet. Marco Polo nous permet maintenant de combler cette lacune. Il est né en Normandie d’un père armateur. Il étudia l’harmonie avec René Vierne, le frère de Louis. Il exerça son art à Paris, mais c’est au Havre - centre artistique important qui a attiré les meilleurs interprètes et compositeurs de l’époque - qu’il semble avoir connu le plus de succès. Sa musique fait sa première entrée internationale avec ce disque.


La voix de Dominique Méa a un vibrato de jeune soprano, elle est toutefois agréable à l’oreille. Elle est parfois mise à rude épreuve par les envolées complexes de Taconet. Même si Méa est moins stable dans les passages difficiles, on peut tout de même apprécier la beauté des quatorze mélodies présentées. Leur ton langoureux, feutré, leur lyrisme, les place dans la lignée de Duparc et des premières œuvres de Fauré. Lui aussi avait une prédilection pour les tempi stables ou plus généralement lents et pour les humeurs auxquels on les associe. Ceci laisse voir clairement que les mélodies sont au cœur de la production de Taconet ; il y en a 60 en tout. Parmi les poètes qu’il a choisi de mettre en musique, on trouve Samain, de Lisle, de Régnier, Verlaine et Prud'homme.


Parmi ces quatorze mélodies, les joyaux sont Elégie, qui tend vers l’extase, la mélodie limpide de Les Sources, le Rondel presque enjoué (sur des paroles de Charles d'Orléans) et Chanson (sur un texte de Gabriel Vicaire). Méa est bien servie par le pianiste Carlos Cebro qui tempère le tout par une chaleur et un entrain communicatif comme dans l’accompagnent de Soir de Samain.


En plus des mélodies, on nous offre une sonate pour violon en quatre mouvements de 24 minutes, qui date du milieu des années 1920. La première de ce concerto a été donnée au Havre le 8 décembre 1935 par le violoniste Emile Damais accompagné du compositeur. Il y a dans cette œuvre le déferlement lyrique d’un Franck, une fougue beaucoup plus nettement perceptible que dans les mélodies. Après l’élan passionné de l’allegro agitato vient un scherzo plus délicat, mordant et mercurien - tendu et néanmoins enjoué. L’Andante est noté pénétrant, et sa tonalité de recueillement contenu peut sans doute être relié aux pertes de la guerre de –14/-18. Taconet a servi dans l’armée française, et rares ceux qui n’ont pas été profondément transformés par ces quatre années. Malgré cela son allegro vivace abandonne toute pensée complaisamment nostalgique, et développe au contraire une mélodie pleine d’une vitalité revigorante ... on y retrouve des échos de chansons folkloriques françaises. Il m’a rappelé la seconde sonate pour violon de Dunhill et aussi la sonate de Cyril Rootham qui n’a toujours pas été enregistrée.


J’ai été heureux de découvrir ces oeuvres. L’interprétation des mélodies n’est pas sans imperfections, mais leur caractère enchanté transparaît néanmoins avec suffisamment d’éloquence. La Sonate est une belle oeuvre dont on trouve l’ancrage émotionnel dans un Andante poignant.


Encore un nom à ajouter aux grands musiciens français négligés, aux côtés de Bonnal, Witkowski et d'Ollonne. J’espère pouvoir entendre jouer d’autres oeuvres de Taconet, en particulier le quintette pour piano. Les mélodies aux parfums subtils constitueraient un projet d’envergure pour de jeunes interprètes en début de carrière, prêts à surmonter les difficultés techniques et artistiques qu’elles contiennent.

Rob Barnett

(traduction Catherine Taconet)

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