Poèmes mis en musique par Georges Taconet

L'Attente Mystique

I catalogue n°29

Ô mon Dieu, je reviens d'un long voyage amer,
Où j'ai lassé mon cœur, et d'où je ne rapporte
Que stériles regrets d'avoir tenté la mer.

Mon ivresse est tombée et ma superbe est morte ;
L'universel ennui creuse son vide en moi ;
L'Espoir, sans s'arrêter, passe devant ma porte ;

Le jour, quand il renaît, m'inspire de l'effroi ;
La nuit roule sur moi, pleine d'horreur glacée,
Je marche comme en rêve et sans savoir pourquoi.

Ah! qui l'emportera dans le ciel, ma pensée ?
Qui fera s'égayer au doux soleil mon front ?
Qui la délivrera, ma poitrine oppressée ?

Enguirlandés de fleurs les Printemps passeront ;
Puis les Étés ardents, puis les Automnes graves :
Mais, sans charmer mon âme, ils se succéderont.

Abandonné, lié de toutes parts d'entraves,
Sur le rivage mort où je suis exilé,
Je n'apercevrai plus, partout, que mes épaves.

Mon Dieu, venez remplir ce néant désolé !
II catalogue n°30

Je cherche vos desseins, ô Maître, avec angoisse,
Me demandant toujours où vous me conduisez,
Pareil à ce feuillage errant que le vent froisse.

Ah ! qu'ils sont, par moments, terribles, vos baisers !
Pour me posséder mieux, dans votre jalousie,
Tous mes appuis anciens, vous les avez brisés...

Moi qui me nourrissais de libre fantaisie,
J'ai traversé l'épreuve, ainsi qu'un âpre hiver,
Où s'est glacée en moi même la poésie.

Quels supplices nouveaux trouverez-vous, quel fer
Déchirera demain mon âme qui tressaille,
Ô tyrannique Amour, dont les soins coûtent cher !

Vous ne pouvez pourtant me faire à votre taille,
Vous le grand Bafoué, le divin Méconnu :
Et cependant voyez, comme vous on me raille !...

Plus d'un m'avait aimé, qui n'est pas revenu ;
Les sages, inquiets, de côté me regardent :
Mon cœur est insulté quand je le mets à nu.

Et seul je crois encore à vos desseins, qui tardent.

.../... .

III catalogue n°31

Ceux qui vous ont trouvée et ne vous perdent pas,
Ô Beauté sans déclin, Bonté toujours égale,
Avant leur dernier souffle ont fini leurs combats.

Vous les comblez de Vous, Sagesse libérale,
Et, dans l'embrassement de l'Être harmonieux,
Leur âme est transportée et devient musicale.

Connaîtrai-je jamais ces avant-goûts des cieux ?
Voici que j'ai passé l'âge de ma folie :
Je sais qu'il est cruel d'espérer aux faux dieux.

Toute chose m'apporte une mélancolie ;
Sagesse, le chemin est tout tracé pour vous,
Vous n'avez qu'à venir, et je vous en supplie.

Faites-moi partager votre Éponge et vos Clous
Et quand vous aurez vu combien je suis fidèle,
A jamais prenez-moi pour un de vos époux.

Et puis conduisez-moi vers la paix éternelle,
Où, remplis d'allégresse et d'émerveillements,
Chanteront votre gloire, abrités sous votre aile,

Après leur sainte mort, Sagesse, vos amants



IV

Je veux me reposer sur les collines saintes,
Car j'ai longtemps marché par les sentiers humains :
Seigneur, emmenez-moi parmi vos térébinthes !

Lassé, le roi David allait prendre les pains
Gardés dans l'ombre, près de l'Arche d'alliance :
Vous seul, ô Pain vivant, vous apaisez nos faims.

Oh ! calme enivrement du Ciel goûté d'avance,
Brûlante effusion, et pleurs dans le secret,
Extase dans la mort, ardeurs dans le silence !

Simplicité de cœur si grande qu'on dirait,
Dans son dépouillement, notre âme devenue
Comme l'oiseau qui chante au fond de la forêt.

Voici qu'en nous, déjà, tremble une aile inconnue :
L'ineffable Beauté nous attire, et parfois
Passe l'auguste éclair de la Vérité nue.

Ah ! qu'elle est pénétrante, ô mon Dieu, votre voix.
Doux Abîme, de Vous mon âme est altérée,
Epoux, je ne vivrai que penché sous vos lois,

Dieu jaloux, cachez-moi dans votre nuit sacrée.

Louis Le Cardonnel



Extrait de "Poèmes", édité par le Mercure de France en 1928, pp.147/152.

Le n° IV n'a pas été mis en musique par Georges Taconet










catalogue n°32