LETTRES DE GEORGES TACONET A SA FEMME YVONNE DUCROCQ (1927)



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 Mardi 15 Septembre 19281


Ma chérie,


J'ai été bien heureux de trouver ta lettre hier en arrivant au Havre. Je dois t'avouer que j'avais eu une assez grande déception de ne rien trouver de toi à Rouen, puisqu'il avait été convenu que tu m'écrirais. Et puis quand nous sommes séparés et que je ne reçois rien de toi, cela me rappelle de mauvais jours.

Mais surtout, ma chérie, ne t'imagine pas que je t'en veuille un seul instant, et j'ai été bien heureux de lire ta lettre hier soir. Tu me manques tant déjà. Tu es la seule avec qui j'ai une intimité réelle. Tu me connais intimement avec toutes mes faiblesses auxquelles tu es indulgente.

J'ai éprouvé hier une impression curieuse à me retrouver dans ma chambre de jeune homme. Je ne peux pas dire que j'y ai de mauvais souvenirs, mais comme ma vie me paraît plus pleine maintenant, et je bénis le Ciel de t'avoir rencontrée et, malgré les charges qu'ils comportent, de nous avoir donné nos enfants.

J'espère, ma chérie, que tu vas passer de bons jours à Poitiers et je souhaite que Geneviève puisse rester encore quelque temps, puisque vous vous entendez si bien. Crois d'ailleurs que je l'apprécie beaucoup aussi, et pour son intelligence, et plus encore pour son c�ur "chaleureux".

L'arrivée de Jacques va amener aussi quelque gaîté.

Je suis fâché de savoir que Marie n'est pas encore bien, dis-lui que je compatis bien à ses maux. J'y compatis d'autant plus que je suis passé par là et je sais combien les choses sont tenaces. Tu ne me parles pas des enfants et j'en conclu qu'il vont bien.

Merci de ce que tu me dis pour ma sonate. Je veux croire que tes compliments sont sincères. Car tu sais que ma musique me tient réellement à c�ur et que c'est là que j'essaie de mettre le meilleur de moi-même. C'est là que je mets tous mes espoirs, mes joies, mes peines aussi, en essayant de les purifier. Tu sais aussi que c'est à ton opinion que j'attache le plus d'importance, quoique, comme tu le dis, tu ne sois pas du métier. Mais tu as, plus que bien des gens du métier, ton esprit pour juger. J'ai amélioré plusieurs passages dans ma sonate et je suis arrivé exactement à ce que je voulais, d'autres ne me donnent pas encore complète satisfaction, mais j'ai de l'espoir.

Je t'ai tenu au courant de mes recherches musicales à Paris. Je vais aller ce soir au Carmel, et j'espère qu'on me saura gré de mes efforts.

J'arrive au côté pratique. Tante Marie est absente encore pour huit jours (chez Berthe)2, et ce n'est donc qu'à son retour que je pourrai m'entendre avec elle pour la désinfection. J'ai trouvé la maison en bon état et non cambriolée.

 

(La lettre s'arrête ici, la page suivante étant absente)






1Il s'agit certainement de1928. En effet la date est postérieure au mariage de Jacques et Geneviève Ducrocq (octobre1927) et antérieure au décès de tante Marie Taconet (décembre 1928). L'indication donnée du mardi 15 septembre ouvrait une piste, mais échec, car le premier mardi 15 septembre postérieur à 1926 se situe en 1931. Sans doute le mardi 15 septembre était-il une précision erronée.

2Tante Marie Taconet, chez sa fille Berthe Thieullent